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Le blanchiment d'argent vu par Lotfi Ramdani
– Dans une déclaration à la presse, le chargé de la communication de la FNAI, M. Menaceri, a affirmé que 70% des transactions immobilières se passent dans l’informel, ce qui met à mal un marché gangrené par le blanchiment d’argent. Qu’en pensez-vous ?
Pour notre part, sans étude approfondie basée sur des données fiables, on ne peut pas avancer un chiffre sur les transactions immobilières conclues dans l’informel. Pour l’expert que je suis, je ne peux pas me baser sur des déclarations non confortées par des données précises. Souvent on parle d’informel pour désigner les transactions faites via un «smasri» (intermédiaire), c’est-à-dire celles qui ne passent pas par les notaires. Par ailleurs, comment peut-on faire le distinguo entre les transactions qui se font entre particuliers et celles passant par des agences, qui sont totalement légales et les autres ? A ce jour, il n’y a aucun moyen fiable pour le faire.
Toutefois, il est évident que le caractère informel d’une part importante de notre économie, et pas seulement le secteur de l’immobilier, ne peut que favoriser le développement du blanchiment d’argent, voire le financement du terrorisme, qui sont des crimes condamnés par la loi.
S’agissant du blanchiment de capitaux, j’aimerais revenir sur quelques définitions. En effet, le blanchiment d’argent est tout acte destiné à masquer ou à modifier l’origine des fonds obtenus à partir d’activités illégales (crimes), de manière à donner l’impression que leur origine est légale. L’infraction de blanchiment d’argent est une conséquence d’un crime (originel).
Cette définition est importante pour savoir ce qui fait partie du blanchiment. Le marché noir en Algérie est-il illégal et constitue-t-il un crime ? Si la réponse est négative, l’argent qui découle de cette activité ne peut pas être considéré comme blanchiment d’argent. Par contre, si c’est le fruit d’un trafic d’armes ou la traite d’êtres humains, oui l’argent en découlant est un argent sale et l’investir pour masquer son origine est considéré comme un blanchiment.
Il faut savoir aussi que l’opération de blanchir de l’argent sale passe par trois étapes : le placement, dit aussi prélavage, consiste à introduire dans le système financier de l’argent liquide issu d’activités illégales (trafic de drogue et d’armes, évasion fiscale, corruption, etc.), viennent par la suite les phases de camouflage, où le blanchisseur va tenter de cacher la relation entre l’argent placé dans le circuit financier et l’origine illicite de cet argent via des opérations financières et/ou bancaires successives, et enfin la phase de recyclage à travers laquelle on procède à l’intégration de l’argent blanchi dans l’économie, de sorte qu’il devient difficile de distinguer entre ces fonds et ceux provenant de sources légitimes.
– La FNAI a pointé du doigt des promoteurs immobiliers dans les opérations de blanchiment. Sont-ils les seuls à mettre en cause ?
Je dirais que le cas sous-entendu dans les déclarations de la FNAI reste marginal et ne peut en aucun cas englober toute une corporation qui souffre elle-même de la lourdeur de la loi 11-04 sur la promotion immobilière. Les promoteurs immobiliers doivent être le maillon fort de la lutte antiblanchiment.
De même que l’immobilier permet de blanchir rapidement de grosses sommes d’argent, s’agissant d’investissements de grande valeur et à forte rentabilité, mais dans le sens de l’achat de biens immobiliers et non pas de l’investissement dans la construction. Les sommes drainées par un trafic de drogue, de contrebande ou de vol sont colossales et investir dans la construction de promotions immobilières ne peut pas blanchir cette masse d’argent.
Il est plus facile et plus rapide d’acheter des immeubles de luxe pour blanchir son argent que de se lancer dans un investissement sur plusieurs années, avec une comptabilité rigoureuse et des impôts importants à payer. Tout cela pour dire qu’acheter un bien immobilier est un moyen rapide et simple pour blanchir un argent sale.
Réduire l’utilisation du cash, voire le supprimer est la meilleure solution pour lutter et réduire le risque de blanchiment des capitaux et, par ricochet, le financement du terrorisme. Il est très difficile de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, si votre économie est basée à 80% sur le cash.
– L’Etat, à travers ses différents démembrements (administration communale, de la wilaya, banques, etc.), est remis en cause. L’affaire de Kamel «El Bouchi» met à nu les pratiques de complaisance au bénéfice de ce promoteur. Quelle est l’ampleur du phénomène ?
A ce jour, l’affaire, ou plutôt les affaires dans lesquelles est impliqué Kamel «El Bouchi» sont en cours d’instruction, personne ne peut avancer des conclusions sur ces affaires. S’agissant des pratiques de complaisance de certains responsables de l’administration, il n’y a nul besoin de Kamel «El Bouchi» pour faire ce lien. Le classement de notre pays dans le baromètre mondial de la corruption en 2017 – où l’Algérie a occupé le 112e rang sur 180 pays – est à lui seul révélateur de l’importance que ce phénomène a pris ces dernières années.
– Pourtant des mécanismes juridiques ont été promulgués pour lutter contre le blanchiment, entre autres dans l’immobilier. Qu’est-ce qui empêcherait qu’ils soient efficaces ?
Certes, la loi 05-01 relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme a inclus, outre les institutions financières, les entreprises et professions non financières, notamment les professions libérales réglementées et plus particulièrement les avocats, lorsque ceux-ci font des transactions à caractère financier au profit de leurs clients, les notaires, les huissiers, les commissaires-priseurs, les experts-comptables, les courtiers, etc.
Au regard de la loi sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les professionnels de l’immobilier, à l’instar des banques, sont soumis à des obligations de vigilance et de déclaration de tout élément douteux. Toutefois, cette législation est très méconnue par les agents et promoteurs immobiliers. Pour preuve et selon les statistiques de la CTRF, aucun professionnel de l’immobilier n’a envoyé de déclaration de soupçon à la cellule en 2017. A ma connaissance, aucune agence immobilière n’a de système KYC (Know Your Custumer), pour connaître sa clientèle et archiver ses informations pendant la durée réglementaire.
Aucune ne filtre ses clients et relations commerciales par rapport à la liste des terroristes des Nations unies, pourtant c’est une obligation de la loi. C’est presque le même constat pour les promotions immobilières. Les notaires utilisent-ils un système informatique pour vérifier si leur clientèle est présente ou non sur la liste des terroristes des Nations unies ? A ma connaissance non.
Ce non-respect découle d’une part d’une méconnaissance des obligations de chacun dans le domaine de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et surtout de l’absence d’un organe de contrôle. En effet, si les banques et les institutions financières sont inspectées par la Banque d’Algérie pour le respect de ladite législation et des moyens déployés par ces derniers, aucune autorité n’existe pour contrôler les professionnels de l’immobilier.
– Justement, que proposez-vous pour sensibiliser les professionnels que vous citez ?
Pour notre part, et outre l’organisation par www.lkeria.com de journées de sensibilisation sur ce thème, notre site propose un outil de recherche des terroristes très performant : http://namechecker.lkeria.com, que nous avons présenté à la CTRF, aux notaires, agences immobilières et promoteurs immobiliers.
Ce système de recherche est très simple d’utilisation, il va chercher dans la liste de la CTRF (liste des Nations unies), SDN et Europe le nom de la relation et affiche le détail des informations du présumé terroriste le cas échéant. Toutes les recherches effectuées par le professionnel de l’immobilier sont archivées dans la base de données et constituent une preuve de la bonne exécution de l’obligation.
Il est également nécessaire et urgent de mettre en place une autorité centrale chargée de faire respecter les dispositions légales et réglementaires par les professionnels de l’immobilier et d’implémenter les mécanismes inhérents à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans le secteur de l’immobilier.
Les agences et les promoteurs immobiliers doivent jouer un rôle important dans la lutte implacable que mène le pays contre le financement du terrorisme, ainsi que dans la protection et la préservation de l’économie nationale contre le fléau du blanchiment de capitaux, qui doit être perçu comme étant un devoir patriotique, outre son aspect légal. Pour notre part, la solution informatique de Lkeria, orientée à la lutte contre le financement du terrorisme, constitue une contribution pour renforcer l’efficacité de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans notre pays.